En Afrique, les acteurs.trices de la justice de base montrent comment renforcer la démocratie locale et autonomiser les communautés.
Par Aimee Ongeso et Morgan Hargrave
L’Afrique continue de connaître à la fois des progrès et des crises en matière de gouvernance. Malgré ces évolutions contradictoires, les Africain·ne·s continuent de croire en la démocratie et de défier les pronostics. En effet, les sondages montrent qu’ils·elles sont plus favorables à la démocratie que leurs homologues d’Amérique latine, d’Asie et du Moyen-Orient.
Il n’en reste pas moins que l’offre actuelle de démocratie est loin des aspirations de l’Afrique et que les systèmes de gouvernance n’ont pas répondu aux attentes des citoyen·ne·s en matière de responsabilisation. Malgré ces perspectives décourageantes, les professionnel·le·s de l’autonomisation juridique sur le continent, mené·e·s par acteurs.trices de la justice de bas, tentent de trouver des moyens de renforcer la démocratie pour faire face aux menaces et responsabiliser les dirigeant·e·s africain·ne·s par rapport aux engagements qu’ils·elles ont pris. En plus de contribuer à résoudre les problèmes de justice quotidiens tels que l’accès aux services publics et la protection des terres et de l’environnement contre les abus, ils·elles accroissent de plus en plus les ambitions de leur travail pour y inclure un changement systémique susceptible de consolider la démocratie.
Les acteurs.trices de la justice de bas fournissent des conseils et une aide juridique qui permettent d’apporter des solutions aux personnes et aux communautés, et ce faisant, ils·elles détectent toutes les fissures et les crevasses dans lesquelles la gouvernance s’effondre. Au sein du Grassroots Justice Network, nous avons entendu parler de diverses préoccupations lorsque nous avons réuni un groupe diversifié de 111 professionnel·le·s de l’autonomisation juridique venu·e·s de toute l’Afrique pour un parcours d’apprentissage de cinq semaines. Nous avons discuté de la manière dont ils·elles peuvent renforcer le pouvoir de la communauté pour remettre en question le statu quo et approfondir la démocratie.
Dans tous les pays du continent, les personnes ne bénéficient pas de protection juridique contre les atteintes à l’environnement, les injustices fondées sur le sexe et le dénuement économique. Mais même lorsqu’il existe des lois en vigueur, le refus ou l’incapacité de l’État à les mettre en œuvre désavantage les communautés. Par exemple, dans des pays comme le Bénin et le Sénégal, les communautés souffrent aux mains d’industries polluantes qui disposent du pouvoir économique et politique nécessaire pour poursuivre leurs activités sans se soucier des conséquences environnementales et de la santé des populations locales. Ces entreprises sont soutenues par le refus de l’État de mettre en œuvre des réglementations strictes pour protéger l’environnement et les communautés.
Comme l’a fait remarquer Fatoumata Kante, de Guinée, « même si les conventions contiennent des clauses protégeant les droits des communautés autochtones, dans de nombreux pays, il n’existe pas de cadre juridique permettant de mettre en œuvre le contenu de ces conventions. » Les acteurs.trices de la justice de bas tentent de combler ces lacunes afin de rendre le droit concret pour les personnes qui en ont le plus besoin.
Les professionnel·le·s de l’autonomisation juridique sont également en mesure de mettre en évidence les structures et les systèmes locaux qui pérennisent les injustices et contribuent ainsi à un système d’oppression plus large et au déclin des espaces démocratiques. Selon Charbonnel Nodjigoto du Tchad, « les injustices perpétrées au niveau communautaire par la communauté elle-même sont les pires car cette impunité au niveau local ouvre la voie à l’épanouissement de mauvais gouvernements et de mauvaises institutions. »
Par exemple, au Bénin, au Malawi, au Nigeria, en Zambie et en Ouganda, les femmes sont souvent victimes de l’oppression des chefs de communauté au nom de la tradition et de la culture. En Sierra Leone, une alliance contre nature entre les chefs traditionnels des communautés, les compagnies minières et les fonctionnaires a permis d’accaparer les terres des communautés sans qu’aucun recours en justice ne soit possible.
Par conséquent, les personnes en quête de justice doivent faire pression pour obtenir de meilleures lois là où elles n’existent pas et une meilleure mise en œuvre là où elles existent, et elles doivent poursuivre ce combat aux niveaux local et national. Il s’agit d’une tâche ardue, en particulier pour celles et ceux qui vivent dans des systèmes oppressifs non limités par une gouvernance démocratique.
Pour parvenir à la justice, les citoyen·ne·s ordinaires doivent être en mesure de mettre le droit à leur service. Tout d’abord, ils·elles doivent comprendre des lois qui ne sont pas écrites afin d’y accéder. Comme l’a fait remarquer Hama Yattara, parajuriste au Burkina Faso, « les législateur·rice·s se targuent de copier-coller des textes coloniaux, qui sont pour la plupart inadaptés au contexte africain. »
Ensuite, les personnes doivent comprendre comment le droit fonctionne dans la pratique, un processus qui peut s’accompagner d’obstacles potentiels tels que des intérêts bien établis, la corruption et la répression. Et si tout le reste échoue, ils·elles doivent façonner le droit lui-même — en plaidant pour des changements qui s’attaquent aux causes profondes des injustices auxquelles ils·elles sont confronté·e·s.
Mais il y a de l’espoir. Les exemples abondent où des communautés armées de la connaissance du droit ont pu faire bouger les choses de manière à répondre à leurs besoins. En partenariat avec l’ONG locale We The People, un groupe de communautés de l’État de Cross River, au Nigeria, a réussi à révoquer les licences d’exploitation minière de deux entreprises. Au Libéria, en Sierra Leone et en Ouganda, les communautés ont également obtenu des compensations et des protections en amenant leurs dirigeant·e·s politiques — qu’ils·elles soient locaux·les ou nationaux·les, coutumier·ère·s ou étatiques — à adopter des principes tels que le consentement libre, préalable et éclairé lorsqu’il s’agit de prendre des décisions concernant les terres et les ressources naturelles.
Parce que le droit ne suffit pas à lui seul, les acteurs.trices de la justice de bas ont trouvé une équation fiable pour les communautés en quête de justice : (1) considérer le droit comme quelque chose que tout le monde peut connaître, utiliser et façonner ; (2) renforcer le pouvoir collectif nécessaire pour y parvenir avec succès.
En Afrique, les hauts et les bas de renforcer le pouvoir communautaire peuvent enseigner au monde que la démocratie peut être consolidée même dans les contextes les plus difficiles.
Après des années de travail, les professionnel·le·s estiment que s’ils·elles parviennent à rassembler une communauté et à la faire se mettre d’accord sur ce qu’elle souhaite, à maintenir l’engagement de la communauté sur une question, à contourner les dirigeant·e·s locaux·les qui ne la soutiennent pas et à tirer parti de ses ressources et de ses points forts pour participer aux décisions qui affectent sa vie, ils·elles peuvent renforcer le pouvoir et, à son tour, consolider la démocratie.
Les acteurs.trices de la justice de bas se concentrent sur ce que le pouvoir permet aux communautés de faire. « Le pouvoir communautaire est la capacité de la communauté à influencer le changement sur les questions qui la concernent », a déclaré Daniel Owinga du Nyando Justice Center au Kenya. Cela implique toutefois quelques conditions préalables essentielles. Tout d’abord, comme le souligne Shem Irungu de Kituo Cha Sheria au Kenya, la communauté a besoin d’unité : « Lorsque je pense au pouvoir de la communauté, j’imagine une force collective dérivée de l’unité, de la coopération et des objectifs communs d’un groupe de personnes au sein d’une communauté. » Et comme la démocratie n’est jamais un jeu à court terme, les communautés doivent maintenir leurs efforts au-delà d’un seul moment. « Une communauté autonomisée est une communauté qui dispose des outils et des capacités nécessaires pour faire face aux injustices auxquelles elle est confrontée sur le long terme », a déclaré Lamine Seck, de Natural Justice au Sénégal.
Grâce au travail des acteurs.trices de la justice de bas, les Africain·ne·s peuvent raconter leurs remarquables histoires de lutte démocratique et de résilience. Par ailleurs, ces acteurs.trices de la justice de bas se réunissent de plus en plus souvent pour partager et comparer leurs tactiques et surmonter les défis auxquels sont confrontés les demandeur·euse·s de justice en Afrique et partout dans le monde. En chemin, ils·elles ont découvert que nos efforts pour obtenir justice ne sont pas identiques, mais qu’ils riment certainement. Nous vous invitons à nous rejoindre.
Aimee Ongeso travaille au Grassroots Justice Network et chez Namati. Aimee possède plus de 15 ans d’expérience dans le cadre de diverses initiatives d’autonomisation juridique en Afrique qui mettent en relation des communautés confrontées à des difficultés similaires en matière de justice, aident les communautés à façonner leurs résultats en matière de justice, favorisent des espaces d’apprentissage et d’échange approfondis, et soutiennent l’élaboration et la mise en œuvre de politiques axées sur les besoins des communautés.
Morgan Hargrave travaille au Grassroots Justice Network et chez Namati. Morgan est organisateur, chercheur, animateur et écrivain. Il vit aux États-Unis avec sa femme et son fils.